20 novembre 2018
L’ANRS dans LA LETTRE DE L’ÉCONOMIE SOCIALE : article paru dans le N° 1697 du 15 novembre 2018
Faire tomber le masque de l’invisibilité des jeunes errants
A l’heure où les premiers résultats du décompte de la nuit solidaire parisienne du 15-16 février 2018 paraissent[1], l’Association Nationale de Réadaptation Sociale souhaite faire un focus sur les jeunes errants recensés, et leurs besoins.
Dans la nuit du 15-16 février 2018, 3 035 personnes se trouvaient sans solution d’hébergement dans les rues de Paris,16 % avaient entre 18 et 25 ans. Ces jeunes adultes décrivent leur errance comme s’ils vivaient une traque. Charlotte Miot[2], du Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris brosse leur situation « lors des premières nuits dehors, les jeunes évoquent un sentiment d’insécurité et de peur. Ils ne dorment pas car c’est se mettre en danger, mais ils marchent, somnolent dans les transports en commun toute la journée ou bien dans les noctiliens. Ils sont tout de suite confrontés à la question cruciale du logement et de l’hébergement ».
L’ANRS se sent particulièrement engagée et mobilisée en faveur des jeunes en situations d’errance, de grande précarité, sans domicile, sans ressource et sans soutien familial pour la plupart.
Créée en 1961 par de hauts fonctionnaires du Ministère de la Santé et de la Population et Reconnue d’Utilité Publique en 1975 afin de mener des actions de prévention de la prostitution, les missions de l’association se sont progressivement élargies « au soutien des jeunes en difficulté et en danger pour les accompagner dans leur projet d’insertion dans la société ».
Concrètement, l’ANRS gère désormais neuf établissements et services et chaque année plus de 1500 jeunes sont accueillis et accompagnés à Paris et dans le Val d’Oise par des professionnels de terrain formés et spécialisés dans les problématiques de la jeunesse.
C’est dans ce contexte que l’ANRS a développé notamment des savoir-faire dans l’accompagnement des 18-25 ans en situation d’errance :
Mettre à l’abri, protéger, prévenir des risques médicaux et infectieux, tout en travaillant sur les parcours et les traumatismes sont des axes majeurs de l’accompagnement des jeunes vulnérables proposés à la Permanence Accueil Jeunes, 24 rue Ramponneau 75020 Paris.
A la PAJ, les jeunes viennent majoritairement en journée par le bouche-à-oreille, parce qu’ils peuvent y prendre un petit-déjeuner, se doucher, laver leur linge, mettre leurs affaires dans des consignes. Au milieu de toutes ces prestations primaires, éducateurs et infirmier se saisissent de toutes les demandes pour tenter de mobiliser avec eux leur projet et introduire une temporalité à courts et moyens termes.
Cet accueil de jour aide les jeunes en errance à sortir de cette invisibilité qui sert de masque de protection dans la rue.
Être invisible, c’est passer inaperçu, s’adapter à un contexte ponctuel, se protéger, afin de ne pas avoir une image marginalisée. Tout comme le caméléon se fait oublier dans le paysage, le jeune errant, sac au dos veut absolument ressembler à tous les autres jeunes de sa génération et surtout ne pas être assimilé aux SDF. Ils circulent dans les rues et le métro parisien, comme n’importe qui.
La nuit solidaire, mise en place de manière extrêmement pertinente et constructive par la Mairie de Paris a rendu palpable ces invisibles.
Pour autant, ces jeunes errants continuent de déployer des stratégies pour contourner les risques de la rue. Ainsi, de par nos relations quotidiennes avec eux, nous pouvons nous interroger sur leur volonté de redevenir visible…de revenir dans un monde qui les effraie.
Si le travail éducatif favorise des moments d’apaisement pour sortir de l’invisibilité et redonner goût aux jeunes errants de sortir de l’ombre, c’est bien le fait de prendre soin qu’ils sollicitent le plus dans nos prestations.
Pour autant, paradoxalement, le non recours aux dispositifs de protection (115, suivi social…) questionne nos approches professionnelles et institutionnelles.
L’étude de l’APUR fait état de la durée de l’errance comme paramètre déterminant des pratiques et des parcours[3] ,les propositions d’hébergement non immédiates et protectrices, brisant l’espoir des errants.
Ainsi, à l’âge où l’avenir se construit pour la jeunesse, l’absence d’écoute, de regards bienveillants, de toit sécurisé, renforce l’errance et la désaffiliation de certains jeunes.
La première nuit solidaire parisienne a mis en lumière l’ombre des errants. Reste aux professionnels de l’Economie Sociale et Solidaire à redonner confiance aux jeunes errants dans le monde des adultes afin qu’à leur tour ils puissent participer à une société empreinte de dignité et d’humanité.
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[1] Les personnes en situation de rue à Paris la nuit du 15-16 février 2018. La nuit de la solidarité. Apur.org. Octobre 2018.
[2] Op.cit., Les personnes en situation de rue à Paris la nuit du 15-16 février 2018, page 38.
[3] Op.cit., Les personnes en situation de rue à Paris la nuit du 15-16 février 2018, page 39.